''L’autonomie collective en action: du Centre Social Autogéré de Pointe-Saint-Charles au Bâtiment 7''
Référence: Kruzynski, Anna. (2017a). L’autonomie collective en action: du Centre Social Autogéré de Pointe-Saint-Charles au Bâtiment 7, Nouvelles pratiques sociales, 29 (1) : 139-158
Thèses et questions de recherche
Objectif de la recherche :
« examiner les pratiques politiques, culturelles et économiques mises en oeuvre par le Centre social autogéré de Pointe-Saint-Charles (CSA) à l’aune du concept d’autonomie collective. (p. 141)
évaluer la portée révolutionnaire de l’appropriation collective du bâtiment 7, une « initiative libertaire en marge de l’économie sociale au Québec » (p. 141)
Thèse centrale :
Des initiatives comme celle du centre social autogéré de Pointe-Saint-Charles s’inscrivent dans un processus révolutionnaire de transformation des pratiques sociales, économiques, culturelles et politiques d’une communauté. (p. 156)
Méthodologie
« l’analyse est largement informée par l’expérience de l’auteure. Celle-ci est cofondatrice de la Pointe libertaire et du CSA et a donc été partie prenante du cheminement décrit dans ce texte. L’analyse est aussi basée sur des documents produits par le CSA et sur le récit de la lutte écrit par la Pointe libertaire. » (p. 142)
Arguments et concepts
L'autonomie collective est un processus « ancré dans la promotion d’une société fondée sur les principes de l’autodétermination — possibilité pour une collectivité de disposer d’elle-même — et de l’auto-organisation — possibilité pour cette même collectivité de contrôler les moyens qui orientent sa destinée. En ce sens, le projet politique de la communauté antiautoritaire ne se révèle pas tant dans le rapport qui est établi avec les autorités politiques que dans un mode de résistance déployé au quotidien et dans des espaces de proximité, sur la base des expériences concrètes vécues par des collectivités (Sarrasin et al., 2016, p. 231 dans Krusynski 2017 p. 141)
Chronologie
Afin d’expliciter le contexte qui a vu naître le Bâtiment 7, l’autrice offre une brève chronologie des événements et des mobilisations qui ont eu lieu dans les années précédentes à Pointe-Saint-Charles. La première mobilisation évoquée par l’autrice est née d’une assemblée publique contre la gentrification organisée en 2007, qui mènera, au bout de deux ans de campagne, à l’occupation illégale d’une usine abandonnée, appuyée par 70 organisations et une manifestation de 500 personnes. Le squat sera finalement évacué par la police au bout de 24 heures (p. 142). Par la suite, les militant.es du CSA ont mené.es diverses actions afin de forcer un promoteur privé à céder le bâtiment 7 à la collectivité. Après 3 ans de luttes, le promoteur leur fait don du bâtiment, assumant les frais de la décontamination, et leur donne un montant d’un million de dollars pour le rénover. Suite à cette victoire, il faudra attendre jusqu’au 28 avril 2017 avant que le bâtiment soit cédé officiellement. À partir de la cession officielle du bâtiment, les rénovations s’accélèrent, et les entreprises coopératives qui occuperont le bâtiment prennent forme : une épicerie solidaire, une brasserie et une fonderie artistique (p. 142-144).
Pratiques politiques
Selon la définition mise de l’avant par le CRAC, « l’activité politique [du CSA] n’est pas fonction d’une éventuelle prise du pouvoir des institutions étatiques ou de l’exercice d’une pression politique sur les détenteurs de ce pouvoir, mais d'expérimenter des pratiques susceptibles de répondre aux besoins et aux visées de collectivités autodésignées (p. 144). Les principes de bases qui animent l’organisation politique du centre social autogéré sont la décentralisation et l’autonomie, qui s’incarnent concrètement dans la démocratie directe, l’autogestion, l’auto-organisation et reposent sur la responsabilité individuelle et collective. Alors que l’assemblée générale était privilégiée dès le départ, au fur et à mesure que prennent forme des initiatives autonomes, la structure décisionnelle évolue pour correspondre aux besoins des personnes impliquées dans les différents projets (p. 145). Par ailleurs, le CSA se dote de politiques visant à atténuer les dynamiques de pouvoir à l’oeuvre lors des rencontres, par exemple la désignation de gardien.nes du senti, l’alternance pour les tours de paroles, et des moments « comment ça va » pour permettre aux personnes d’exprimer leurs états d’âmes lors des réunions. Selon l’autrice, ces mécanismes permettent une prise de décision basée sur le consensus, et la prise de parole et l’écoute de chaque individu (p. 145-146).
Pratiques culturelles
Au CSA, les militant.es sont conscient.es qu’il ne suffit pas de se doter de structures horizontales pour éliminer tous les rapports de domination qui peuvent exister au sein d’un groupe. Ainsi, « le CSA se dote de pratiques médiatiques, éducationnelles et de vie (kinship), imbriquées aux pratiques politiques et économiques discutées ici, au sein desquelles les membres expérimentent des valeurs et des normes compatibles avec leur culture politique libertaire » (p. 146). En ce qui concerne l’éducation, les militant.es mettront sur pied le projet « éduc pop » ainsi qu’un comité autoformation, en plus de se doter de mécanismes interne de partage d'habiletés, par exemple en assurant la rotation des tâches et le jumelage avec des militant.es expérimenté.es. Le projet d’autonomie collective du CSA implique également « le déploiement de pratiques d’autoreprésentation » Les militantes mettent ainsi sur pied le projet Médias libres, qui met en place les infrastructures nécessaires afin d’assurer des canaux de comunication avec les membres du CSA, mais également avec les habitant.es du quartier et le public plus large. Le CSA est ainsi en mesure de produire lui-même du contenu informationnel et mobilisateur. Par ailleurs, un comité est formé afin d’assurer la communication avec les médias de masse. Le collectif est ainsi en mesure de produire son propre contenu, tout en permettant une certaine diffusion de ses activités dans les médias de masse, mais en minimisant la déformation des propos des militant.es (p. 147-148). Finalement, en ce qui concerne les pratiques culturelles du CSA, elles s’inspirent du principe du safer space, qui vise à politiser les rapports interpersonnels, en cherchant à organiser le vivre ensemble sur la base du respect, de la solidarité et de la responsabilité (p. 148-149).
Pratiques économiques
Dans les pratiques économiques du CSA, l’un des point central a consisté à se réapproprier la propriété en élargissant les communs. Pour l’autrice, qui s’inspire des travaux de Gibson-Graham, il s’agit de conceptualiser le commun non pas comme une propriété publique ou en accès libre, mais plutôt comme un processus. Kruzynski considère donc que « la pratique du commun est au centre de toutes les activités du CSA. Ainsi, tous les bâtiments et infrastructures du quartier sont susceptibles d’être transformés en communs (pp. 149-150). Par exemple, en organisant un squat ponctuel dans un bâtiment destiné à être transformé en condos, le CSA l’a rendu commun pour la durée de l’occupation. Ainsi, c’est à travers l’action directe et les occupations ponctuelles que les militant.es de Pointe-Saint-Charles ont réussi à ralentir la gentrification du quartier, tout en rendant accessible des espaces autrement privatisés (p. 150). C’est également au fil des corvées, et de l’implication des militant.es dans le projet que ces dernier.es en viennent qu’a développer un sentiment d’appartenance avec le bâtiment. Une autre pratique économique particulièrement importante dans les activités du CSA a été de se réapproprier collectivement le travail. Pour les militant.es du CSA, la survie individuelle dépend de celle des individus qui nous entourent, ainsi que de celle de la planète. Ainsi, le collectif se positionne contre le travail salarié, mais reconnaît également qu’il existe des inégalités qui favorisent davantage l’implication bénévole d’individus disposants de ressources plus importantes. Le CSA favorisera donc au cours de ses activités diverses formes de travail, tout en favorisant la création et la consolidation de rapports d’entraide entre les individus (p. 152). Par ailleurs, si le CSA tente de mettre en place une diversité de formes de travail, il en est de même pour les moyens d’échanges (don, récupération et réutilisation des matériaux, contributions volontaires, etc). Le CSA vise, à travers la réappropriation des marchés, à rétablir le lien entre la production et la consommation (p. 153)
Conclusion critique
L’article, et c’est mentionné dans sa conclusion ne mentionne pas les difficultés, les contradictions, ou les échecs qui ont pu être vécus par les militant.es du Bâtiment 7. Par ailleurs, cet article a été publié très peu de temps après l’ouverture officielle du Bâtiment 7, il serait donc intéressant de s’intéresser à la survie des pratiques économiques non-marchandes suite à l’institutionnalisation du projet et à son intégration dans l’économie capitaliste montréalaise.