Autre idée
Depuis très longtemps dans l’histoire du capitalisme, les coopératives de travail ou coopératives ouvrières ont été une stratégie permettant à une minorité d’échapper à l'exploitation du grand capital. Pour Marx, cela permet de retirer les travailleur·euse·s de la boucle AMA enrichissant les capitalistes : « Pour ce qui est des coopératives ouvrières [...] les travailleurs sont leur propre capitaliste, c'est-à-dire qu'ils utilisent les moyens de production à la mise en valeur de leur propre travail. » [1]. Toutefois, moins de quatre ans (1898) après Rosa Luxembourg considère déjà que les coopératives de production « doivent se contenter, dans le meilleur des cas, de petits débouchés locaux » [2]. Ainsi, déjà 19ème siècle les coopératives de travail sont vues comme limitées à des secteurs économiques spécifiques.
Le contexte d’émergence d’une consommation éthique
En effet des formes de consumérisme éthique avaient déjà commencée à se développer en dans les années 1870s sur les bases du mouvement Arts and crafts mises en place par Morris [3] et embrassées par un large mouvement populaire[4]. En effet, certains marchés de biens fabriqués à la main, comme la dentelle, émergent [5] Il ne s’agit toutefois pas du retour du putting-out system (Castel, 2007, p. 194 et les suivantes) qui avait été utilisé jadis pour différentes productions matérielles. En effet, bien qu’il s’agisse de le revivre : « A major area of philanthropic interest during this period lay in the lace associations created to revive a dying rural craft whose products were highly prestigious, and carried the mark of wealth and social status for the wearer. » [6]. En effet, les conditions économiques qui amène son émergence au début du XIVème au début du XIXème siècle ont ont depuis longtemps disparues. Ce seront en effet des femmes de classes moyenne qui se réapproprieront cette production, en partie à cause de l’injonction chrétienne au travail [7]. La présence des arts et métier se transformera mais sera persistante au XXème siècle. Son élément central reste la consommation bourgeoise qui s’apparente avec les secteurs limités auxquelles les coopératives peuvent s’accrocher.
C’est que dès la mise en place du capitalisme en Angleterre, les capitalistes ont commencé à mettre en place des dynamiques coloniales qui permettent les investissements dans la terre qui permettent de générer un profit [8]. Par la suite, les usines anglaises continueront de se déplacer vers l’est de l’Europe, enrichissant les premières nations à avoir fait le saut dans l’industrie capitaliste [9]. Toutefois, « le seul moyen de tirer d’énormes profits de l’appropriation extra-économique consiste à recourir à la coercition totale » [10]. Ainsi, le gros des conquêtes impérialiste sert à construire des débouchés pour la production, plutôt qu’à l’implantation d’une production capitaliste [11]. Ainsi, ce n’est qu’au tournant du XXème siècle que les bourgeois s’intéresse à la main-d’œuvre du Québec, où des patrons anglais dirigent des milliers d’employés en 1937 [12]. Deux conclusions émergent. Premièrement, la production mondiale se déplace au fur et à mesure de l’organisation ouvrière et de la mise en place de régulation étatique obtenues par les travailleur·euse·s, qui peuvent persister après le départ des usines. Deuxièmement, ces conditions, avant même le début du XXème siècle permettaient l’existence de marchés de luxe comportant des aspects éthiques.
L’anarchisme et l’autogestion
Le mouvement anarchiste a très tôt appuyé l’autogestion ouvrière, comme Bakounine qui écrivait en 1869 : « elles habituent les ouvriers à organiser, à faire, à diriger leurs affaires par eux-mêmes sans aucune intervention, soit du capital bourgeois, soit d’une direction bourgeoise » [13]. Toutefois, les coopératives se doivent d’adhérer au principe de l’association internationale des travailleurs. Mais le mouvement anarchiste était déjà en diversifié, et Bakounine était à cette époque même proche de Netchaïev pour qui « our business is destruction, terrible, complete, universal and merciless » [14]. Mais prenons une source qui explique un peu plus précisément les raisons de cette destruction :
Nous l’avons déjà dit : Que demain la Révolution éclate à Paris, à Lyon, ou dans toute autre cité ; que demain on mette la main, à Paris ou n’importe où, sur les usines, les maisons, ou la banque — toute la production actuelle devra changer d’aspect par ce simple fait.
Le commerce international s’arrêtera ainsi que les apports de blé étranger ; la circulation des marchandises, des vivres sera paralysée. Et la cité, ou le territoire révoltés devront, pour se suffire, réorganiser de fond en comble toute la production. S’ils échouent, c’est la mort. S’ils réussissent, c’est la révolution dans l’ensemble de la vie économique du pays.[15]
Un exemple concret est donné dans la révolution espagnole où le secteur textile s’est retrouvé avec des tâches limitées vu les difficultés d’approvisionnement en matière première [16].
Essentiellement, les machines qui servent une production internationale ne peuvent servir qu’à dominer les autres pays du monde, qu’à une économie basée sur la domination des êtres humains par les machines. C’est pourquoi Kropotkine considère que la période révolutionnaire doit durer « quelques années […] et qu’elles ne se bornent pas aux grandes villes » [17] Le camp adverse, le collectivisme, dans lequel la fédération des syndicats devait donner naissance à la structure post-révolutionnaire se muta en anarcho-syndicalisme, qui prône un fédéralisme des syndicats ouvriers au lendemain de la révolution menant ensuite à une réorganisation de la production [18]. Il semble qu’avant même d’avoir franchit le début du 20ème siècle, les positions sur l’autogestion sont déjà tracées : les machines du capital ne peuvent pas produire de liberté, mais la réappropriation de ces machines peut être un mal nécessaire et qui peut avoir des vertus éducatives. Par contre, même dans cette formation il faut distinguer l’information utilisée pour fonctionner en liberté et celle nécessaire à fonctionner dans le système capitaliste. C’est pourquoi Bakounine demande que les coopératives ouvrières adhèrent aux principes de l’organisation ouvrière du moment.
Les différences avec le Québec actuel sont assez grandes parce que les usines ont continué leur rotations globales. L’état, en incluant le secteur parapublic, représente plus de 625 000 employés [19] alors que la plus grande entreprise québécoise en représente 59 660 [20]. Au 12 janvier 2021, 51% de la population occupe un emploi et plus qu’une personne sur sept est employée par l’État québécois, sans même compter les emplois des gouvernements fédéraux et municipaux [21]. Il est difficile de comprendre comment le Québec puisse faire partie d’un des pays les plus riche du monde alors qu’il ne participe de manière aussi marginale à la production de la richesse mondiale. Il faut pour comprendre observer le déplacement des emplois commençant à la fin des années 1970s [22] se compensent ici par l’importation massive de bien de consommations produits à prix moindre dans des pays éloignés et en maintenant des emplois mieux rémunérés ici. Par exemple, Louis Garneau figure toujours sur la liste des plus gros employeurs malgré que sa production oscille entre la Chine et le Mexique [23]. De plus, les études sur la délocalisation en disent long sur les dynamiques dans les entreprises, qui tentent de garder leur mainmise sur les consommateur·trice·s des pays riches plutôt que d’améliorer la qualité des produits : « la plus grande part des investissements se dirige vers le marketing et les activités immatérielles plutôt que vers la production » [24]. De plus, le passage de la production aux pays du sud est venue avec la responsabilité de la pollution qu’elle cause [25], si bien que notre consommation n'est pas affectée par les changements climatiques. Bref, dans les cinquante dernières années, nous sommes passés du rôle de victimes de l’exploitation au rôle de complices. La réorganisation de la production ne doit désormais plus être vendue comme une libération de l’exploitation, mais comme une assurance contre les soulèvements populaires et les crises alimentaires à venir. C’est dans une tel contexte qu’il se peut que le rôle révolutionnaire des coopératives soit en fait redevenu important.
Que faire
Alors que le contexte de lutte sociale amène des interprétations différentes de la tâche anarchiste à accomplir, par exemple : que faire des nouvelles technologies de communications?, les anarchistes semblent avoir tourné le dos à la question de ce qu’il faudra faire après la révolution. Le plus près d’une réponse non-historique se trouve dans la littérature post-anarchiste[26]. Il semble important de repenser la production après la révolution, mais il semble nécessaire de réfléchir en amont, en pensant par exemple au fait que quatre après la révolution russe les habitant·e·s de Pétrograd n’étaient toujours pas autorisé·e·s à couper des arbres pour se chauffer en attendant que la dictature du prolétariat leurs autorise [27]. Peut être que nous ne rêvons pas assez? Le rapport sur la confrontation de Victoriaville durant grève de 2012 montre que les manifestant·e·s prennent 2 minutes à abattre les clôtures, mais ne casse aucune vitre pour faire entre les très prévisibles gaz lacrymogènes dans le centre des congrès[28], comme si les attaques étaient répétées sans nécessairement être mises dans un plan conscient. Peut-être que les grèves et révoltes auraient une plus grande portée si leurs chemins seraient pensés plus longtemps à l’avance? C’est dans ce contexte que la question de l’autogestion semble ici intéressante.
Les ambitions du mouvement anarchistes se manifestent dans un contexte historique donné à partir d’une vision relativement réaliste des conditions de travail dans des secteurs donnés. L’objectif est de voir comment l’idéal d’organisation sociale se modifie durant le passage dans une coopérative de travail. Les sous-objectifs consisteront à valider si le modèle révolutionnaire des personnes impliquées dans les coopératives de travail s’est enrichi, si la croyance en une possibilité d’une autogestion généralisée s’est renforcée ainsi que si la volonté de cette autogestion s’est essoufflée dans le processus. En traçant les parcours de militant·e·s anarchistes au cours de leur implication dans des coopératives de travail, afin d’éclairer leurs aspects éducatif sur l’idéal révolutionnaire.
L’objectif est donc d’observer l’écologie autogestionnaire dans son milieu, au sein de l’« existence of a shared political culture amongst anti-authoritarian groups and collectives » [29]. Il semble que de positionner les projets politiques dans l’historique des luttes collectives permet de réfléchir sur la guerre de position et la guerre de mouvement gramscienne, de manière à décloisonner ces espaces de lutte dans une continuité autogestionnaire. Ainsi la fin d’une expérience autogestionnaire peut mener à d’autres projets selon les opportunités d’une période ou d’un contexte, et il importe d’étudier des projets vivants ou morts, de manière à tenir compte de leur évolution structurelle et de l’adaptation des projets aux contextes politiques et sociaux. De plus, l’écosystème autogestionnaire suit donc les trajectoires fluides des individus et la littérature sur l’autogestion mentionne les apprentissages continuels comme un des bénéfices des pratiques autogestionnaires [30]. Les individus arrivant à différents moment de leur vie dans les projets autogestionnaires, il est possible que ceux et celles-ci tirent un apprentissage et partent après avoir fait une contribution raisonnable à la formation d’autres personnes à posteriori. En observant les effets, positifs ou négatifs sur les individus pendant ou après leur départ, il est possible d’avoir une perspective plus large sur le fonctionnement autogestionnaire en tant qu’espace.
Bibliographie
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- ↑ Callen, op cit
- ↑ Callen, op cit, p. 5
- ↑ Callen, op cit, p. 5
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- ↑ Guérin, op cit p. 511‑512
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- ↑ Roy, op cit, p. 78