Autre idée

De Projet de recherche sur l'auto-exploitation collective
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Depuis très longtemps dans l’histoire du capitalisme, les coopératives de travail ou coopératives ouvrières ont été une stratégie permettant à une minorité d’échapper à l’usine. Pour Marx, cela permet de retirer les travailleur·euse·s de la boucle AMA enrichissant les capitalistes : « Pour ce qui est des coopératives ouvrières [...] les travailleurs sont leur propre capitaliste, c'est-à-dire qu'ils utilisent les moyens de production à la mise en valeur de leur propre travail. » [1]. Toutefois, moins de quatre ans (1898) après Rosa Luxembourg considère déjà que les coopératives de production « doivent se contenter, dans le meilleur des cas, de petits débouchés locaux » [2]. Ainsi, déjà 19ème siècle les coopératives de travail sont vues comme limitées à des secteurs économiques spécifiques. Toutefois, la résistance au capitalisme est multiforme, et déjà en 1864 les bases du mouvement Arts and crafts sont mises en place par Morris[3] et certains marchés de biens fabriqués à la main, comme la dentelle, émergent [4], non sans lien avec l’impérialisme anglais de l’époque [5] et la migration de l’industrie anglaise vers l’est de l’Europe [6]. Bref dans les sociétés occidentales, déjà à la fin du 19ème siècle, des pratiques de productions parallèles sont possibles.

Le mouvement anarchiste a très tôt appuyé l’autogestion ouvrière, comme Bakounine qui écrivait en 1869 : « elles habituent les ouvriers à organiser, à faire, à diriger leurs affaires par eux-mêmes sans aucune intervention, soit du capital bourgeois, soit d’une direction bourgeoise » [7]. Toutefois, les coopératives se doivent d’adhérer au principe de l’association internationale des travailleurs. Mais le mouvement anarchiste était déjà en diversifié, et Bakounine était à cette époque même proche de Netchaïev pour qui « our business is destruction, terrible, complete, universal and merciless » [8]. Mais prenons une source qui explique un peu plus précisément les raisons de cette destruction :


Nous l’avons déjà dit : Que demain la Révolution éclate à Paris, à Lyon, ou dans toute autre cité ; que demain on mette la main, à Paris ou n’importe où, sur les usines, les maisons, ou la banque — toute la production actuelle devra changer d’aspect par ce simple fait.

Le commerce international s’arrêtera ainsi que les apports de blé étranger ; la circulation des marchandises, des vivres sera paralysée. Et la cité, ou le territoire révoltés devront, pour se suffire, réorganiser de fond en comble toute la production. S’ils échouent, c’est la mort. S’ils réussissent, c’est la révolution dans l’ensemble de la vie économique du pays.[9]

Essentiellement, les machines qui servent une productions internationales ne peuvent servir qu’à dominer les autres pays du monde, qu’à une économie basée sur la domination des êtres humains par les machines. C’est pourquoi Kropotkine considère que la période révolutionnaire doit durer « quelques années […] et qu’elles ne se bornent pas aux grandes villes » [10] Le camps adverse, le collectivisme, dans lequel la fédération des syndicats devait donner naissance à la structure post-révolutionnaire se muta en anarcho-syndicalisme, qui prône un fédéralisme des syndicats ouvriers au lendemain de la révolution menant ensuite à une réorganisation de la production [11]. Il semble qu’avant même d’avoir franchit le début du 20ème siècle, les positions sur l’autogestion sont déjà tracées : les machines du capital ne peuvent pas produire de liberté, mais la réappropriation de ces machines peut être un mal nécessaire et qui peut avoir des vertus éducatives. Par contre, même dans cette formation il faut distinguer l’information utilisée pour fonctionner en liberté et celle nécessaire à fonctionner dans le système capitaliste. C’est pourquoi Bakounine demande que les coopératives ouvrières adhèrent aux principes de l’organisation ouvrière du moment.

Alors que le contexte de lutte sociale amène des interprétations différentes de la tâche anarchiste à accomplir, par exemple : que faire des nouvelles technologies de communications?, les anarchistes semblent avoir tourné le dos à la question de ce qu’il faudra faire après la révolution. Le plus près d’une réponse non-historique se trouve dans la littérature post-anarchiste[12]. Il semble important de repenser la production après la révolution, mais quatre après la révolution russe les habitant·e·s de Pétrograd n’étaient toujours pas autorisé·e·s à couper des arbres pour se chauffer en attendant que la dictature du prolétariat leurs autorise [13]. Peut être que nous ne rêvons pas assez? Le rapport sur la confrontation de Victoriaville durant grève de 2012 montre que les manifestant·e·s prennent 2 minutes à abattre les clôtures, mais ne casse aucune vitre pour faire entre les très prévisibles gaz lacrymogènes dans le centre des congrès[14], comme si les attaques étaient répétées sans nécessairement être mises dans un plan conscient. Peut-être que les grèves et révoltes auraient une plus grande portée si les chemins seraient rêvés plus longtemps à l’avance? C’est dans ce contexte que la question de l’autogestion semble ici intéressante.

Bibliographie

  1. Marx, K. (2008). Le Capital. Livres II et III (M. Rubel, Trad.). Gallimard., p. 1740
  2. Luxemburg, R. (1971). Oeuvres (I. Petit, Trad.; Vol. 1). F. Maspero, p. 62
  3. Morris, W. (2008). Useful work v. Useless toil. Penguin.
  4. Callen, A. (1979). Women artists of the arts and crafts movement, 1870-1914 (1st American ed). Pantheon Books.
  5. Meiksins Wood, E. (2013). L’origine du capitalisme : Une étude approfondie. http://sbiproxy.uqac.ca/login?url=http://international.scholarvox.com/book/88815723
  6. Kropotkine, P. (2017). La conquête du pain (I. Pivert, Trad.).
  7. Guérin, D. (1976). Ni dieu ni maître : Anthologie de l’anarchisme. 2: Bakounine (suite) - controverse de Paepe et Schwitzguébel - James Guillaume - Kropotkine (3. tirage). Maspero., p. 34
  8. Avrich, P. (1987). Bakunin & Nechaev (2nd ed). Freedom Press.
  9. Kropotkine, P. (2017). La conquête du pain (I. Pivert, Trad.).
  10. Guérin, D. (1976). Ni dieu ni maître : Anthologie de l’anarchisme. 2: Bakounine (suite) - controverse de Paepe et Schwitzguébel - James Guillaume - Kropotkine (3. tirage). Maspero., p. 102
  11. Rocker, R. (1998). Anarcho-Syndicalism, Freedom Press, London, p. 58
  12. Day, R. J. F. (2005). Gramsci is dead : Anarchist currents in the newest social movements. Pluto Press ; Between the Lines.
  13. Goldman, E. (1970). Living my life. Vol. 2 : ... Dover Publ.
  14. Québec (Province), Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012, & Ménard, S. (2014). Rapport. http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2384858