Conditions d'existence, conditions d'emploi, travail marchandise, salariat, précarité

De Projet de recherche sur l'auto-exploitation collective
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Conditions d’existence[modifier]

Pour se libérer du salariat, il convient de retrouver des supports de l’indépendance. À cet égard, les désirs que vise à satisfaire la consommation devraient être limités (Lordon). L’indépendance flirte avec la frugalité (Gorz).

Salariat et marchandise-travail[modifier]

Gorz (1988) rappelle que pour advenir, avec la modernité, le travail suppose 3 conditions:

  • 1) l'existence d'une sphère publique, i.e. le marché, sanctionné par le l'État de droit;
  • 2) une valeur : l’utilité, la demande, la définition de cette activité même;
  • 3) une rémunération. ... ce qui fait du travail une abstraction.

Ces trois conditions fondent le travail comme institution phare de l'intégration sociale.

Burawoy a une conception très étroite de la marchandisation du travail:

"Lorsque le travail est soumis à l’échange non régulé, c’est-à-dire quand il est marchandisé, embauché et licencié sans aucune protection, lorsque le salaire tombe en dessous du coût de la reproduction de la force de travail, quand le travailleur ne peut pas développer les compétences tacites nécessaires à toute production." (Burawoy, 2015 : 3/7)

Emploi[modifier]

Pour Rolande Pinard (2000), la notion d'emploi remplace celle de travail-marchandise (ou de la "marchandise force de travail" - Marx). Tandis que cette dernière met bien en évidence la dimension économique de l'activité de travail, la seconde appartient à un autre univers, celui de l'organisation.

La dimension économique du travail ne va pas de soi. Il est en effet paradoxal de vendre à autrui une "chose" qui est l'activité d'une personne, i.e. sa capacité à réaliser une activité pendant un temps déterminé. Pour Pinard, la notion de travail-marchandise permet d'insister sur cet aspect paradoxal, sur la conflictualité inhérente à celle-ci.

L'un des paradoxes découle des limites physiques liées à la vente d'une disposition à travailler pour autrui, « Car la prétendue marchandise qui a nom ’force de travail’ ne peut être bousculée, employée à tort et à travers, ou même laissée inutilisée, sans que soit également affecté l’individu humain qui se trouve être le porteur de cette marchandise particulière. En disposant de la force de travail d’un homme, le système disposerait d’ailleurs de l’entité physique, psychologique et morale ’homme’ qui s’attache à cette force. Dépouillés de la couverture protectrice des institutions culturelles, les êtres humains périraient, ainsi exposés à la société ; ils mourraient, victimes d’une désorganisation sociale aiguë, tués par le vice, la perversion, le crime et l’inanition. » (Polanyi, [1944]).

Selon une lecture historiciste du sens des termes, le passage de la notion de travail-marchandise à celle d'emploi suppose donc une perte de référence à la conflictualité de la relation salariale. Il devient alors banal et accepté que l'activité de travail soit approprié par l’employeur dans l’espace privé organisationnel (= marché interne), et qu'il s’accompagne d’avantages sociaux (privés) et/ou donnant droit à des protections sociales (publiques). L'emploi désigne donc le mouvement par lequel les grandes entreprises octroient la permanence à leurs employés, en échange de leur soumission aux directives organisationnelle et s'approprient les travailleurs, leur travail et jusqu'à leur adhésion aux valeurs des entreprises. Ce sens correspond bien à l’idée d’une échappée de la dimension politique du travail dans le capitalisme avancé dirigé par les grandes corporations.

L’idée de Pinard recoupe celle de Gorz : "Les travailleurs ne produisent plus la société par la médiation des rapports de production; c’est l’appareil de production sociale qui produit du travail et l’impose sous une forme contingente à des individus contingents et interchangeables." (Gorz, 1980, cité par Fischbach, 2015 : 131)

Ainsi, ce concept de l’emploi ne pourrait servir de référent pour défendre nostalgiquement le rapport salarial fordiste ayant contribué à démarchandiser le travail en en faisant le socle des droits sociaux et du travail. Retenons que c’est néanmoins cette dernière acceptation qui a pris le devant. C'est en vertu de ce procès de banalisation que le terme de l'emploi en est venu à désigner à la fois les conditions de l'accès au travail et une figure particulière de celles-ci: l'emploi typique.


Selon d’autres lieux, la notion d’emploi renvoie :

Dans la sociologie wébérienne : au statut d’emploi des fonctionnaires, un concept qui implique à la fois a) des conditions d’emploi en accord avec la fonction : permanence, salaire régulier et fonds de retraite; et b) un certain statut social (prestige) associé à cette place;

Par extension (Supiot; Lapointe, 2013), le statut d’emploi permet de cerner synthétiquement les conditions d’emploi selon les variables pertinentes (régime (temps plein/temporaire), statut (permanent/temporaire), lieu de travail, avantages sociaux, syndicat, décret et convention collective, régime dérogatoire, tiers donneur d’ordres/employeur). Par exemple : professeure/chargé de cours; infirmière/infirmière d’agence.


Conditions d'emploi[modifier]

Modalités du lien d'appartenance de la prestation de travail du salarié à son employeur. Ces modalités peuvent se décliner en cette série d'indicateurs:

  • Sécurité (+ ou –) (D’Amours, 2015 : 3)
  • Congés (D’Amours, 2015 : 3)
  • Avantages sociaux (assurances collectives, régimes de retraite) (D’Amours, 2015 : 3)
  • Le niveau de la rémunération et ses modes (MPB)
  • L’accès à des avantages sociaux, voire l’accès aux protections sociales (MPB)
  • Le statut de l’emploi: permanent ou temporaire (contractuel) (MPB)
  • Le régime de l’emploi : temps plein ou temps partiel (MPB)
  • Le lieu de l’exercice du travail (MPB)
  • Horaire de travail (discontinu, surtravail) (MPB)
  • Le type de contrat (de travail, d’entreprise, en régime dérogatoire) (MPB)
  • S’il est couvert par une convention collective, un décret; si les employé.es sont syndiqué.es. (MPB)

« L’emploi peut procurer une place (un statut, l’appartenance à un collectif), des droits (sociaux, syndicaux), une stabilité (selon la durée) et une sécurité (confiance dans l’avenir). À l’inverse, la précarité de l’emploi renvoie à l’instabilité, l’insécurité, l’absence de protection sociale, l’absence d’appartenance à un collectif (équipe ou syndicat) (Malenfant, LaRue et Vézina, 2007). » (Thirot, 2013 : 147)

Emploi atypique

"[L]’étude approfondie des travaux nord-américains laisse apparaître un certain nombre de nuances et une complexité dans la tentative de définition de l’emploi atypique. La littérature canadienne utilise différentes terminologies comme l’emploi « non standard » (Saunders, 2003) ou l’emploi « atypique » (Bernier, 2003; Kapsalis et Tourigny, 2004; Commission du droit du Canada, 2004; Vosko, 2005; D’Amours, 2006; Venne, 2007). Ces notions se conçoivent comme l’inverse de l’emploi typique, c’est-à-dire un emploi à temps plein, chez un même employeur et pour une durée illimitée. Au Québec, les nouvelles formes d’emploi dites « atypiques » sont l’emploi temporaire, à temps partiel, l’emploi par agence de placement, le travail à domicile, le travail autonome (Bernier, 2003; D’Amours, 2006; Tremblay, 2008). Dans ce cas, les auteurs insistent sur la transformation d’un modèle, sur la distance avec l’emploi traditionnel et l’apparition de nouveaux statuts, non encadrés par la législation du travail. D’autres, plus rares, utilisent le terme de précarité d’emploi pour introduire une dimension nouvelle, celle de « la discontinuité en emploi » (Malenfant et al., 2002 : 13), c’est-à-dire l’alternance entre des périodes avec emploi et des périodes sans emploi." (Thirot : 2013 : 144)

Références[modifier]

Burawoy, Michael, « Une nouvelle sociologie pour les nouveau mouvements sociaux », Les possibles, no 7, 2015

D’Amours, Martine, « Le travail et l’emploi », dans P.-L. Bilodeau et M. D’Amours, Fondements des relations industrielles, Montréal, Chenelière Éducation, 2015; Introduction et 1.1. Le travail dans une économie capitaliste, p. 3-27

Fischbach, Franck, Le sens du social. Les puissances de la coopération, Montréal : Lux, 2015

Gorz, André, Métamorphoses du travail. Quête du sens, Paris: Galilée « Débats », 1988, 302p.

Gorz, André, Le fil rouge de l’écologie, Paris, Éditions de l’EHESS, 2015

Lordon, Frédéric, Capitalisme, désir et servitude, Paris, La Fabrique, 2010

Pinard, Rolande, La révolution du travail. De l’artisan au manager, Presses Universitaires de Rennes, « Le sens social », Rennes 2000

Polanyi, Karl, La grande transformation (1943), Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, Paris 1998

Thirot, Myriam, « La précarisation du travail : des parcours professionnels à géométrie variable », Relations industrielles, 681, 2013 : 142-163