''The anarchist commons''
Référence: Jeppesen, S., Kruzynski, A., Sarrasin, R. et Breton, É. (2014). The anarchist commons. Ephemera: Theory and Politics in Organisation, 14(4), 879‑900. 2 – Thèses et questions de recherche
Questions de recherche :
Objectif de la recherche : faire une cartographie des communs anarchistes à montréal (p. 880)
Thèse centrale : L’ensemble des groupes et des réseaux anti-autoritaires adressant des enjeux différents mais interconnectés sont investis dans la construction de communs anarchistes dans à travers « a loose grouping of spaces, networks and collectives » qui sont unis par une culture politique partagée (p. 880) Sous-thèses : Des entrevues avec des militant.es montréalaises ont émergées différents enjeux, notamment le besoin de développer davantage de communs anarchistes, le besoin de développer des formes de travail mixtes qui adressent les tendances à l’auto-exploitation, ainsi que le besoin d’adresser des comportements oppressifs sous forme de call-in plutôt que de call-out. Les auteur.es considèrent finalement que la culture politique de ces milieux permet d’offrir une certaine résistance à la privatisation des communs anarchistes (p. 880) Méthodologie : Recherche action participative, menée par un collectif anti-autoritaire et pro-féministe (le CRAC). Les auteur.es se sont concentré.es sur les collectifs qui s'inscrivent en résistance au patriarcat et à l’hétéronormativité et ont analysé.es des entrevues avec 117 militant.es provenant de 9 collectifs et réseaux différents (p. 881) La recherche a été menée en trois phases différentes. 1) le contact initial et les entrevues, 2) compiler les résultats pour chacun des groupes dans une étude de cas, et 3) effectuer une analyse transversale de toutes les entrevues sur des thématiques spécifiques, tout en validant les résultats d’analyse en atelier de focus groupe (p. 881). Les chercheur.es ont également organisé une fin de semaine de réflexion à laquelle environ 80 militant.es ont participé (p. 882) Finalement, il est souligné dans l’article que les chercheur.es ont chacun.es plus de 10 ans d’expérience militante dans les milieux anarchistes et antiautoritaires, leur expérience influençant donc grandement la recherche (p. 882) 3 – Arguments et concepts Communs : un système social dans lequel les ressources sont partagées par une communauté de producteurs et d’utilisateurs, qui définissent également les modes d’utilisation, de production, de distribution et de circulation de ces ressources par le biais de formes de gouvernances démocratiques et horizontales (p. 879) communs anarchistes : ils tendent à mettre l’accent sur des principes d’accès ouverts, ils s’appuient également sur des formes extra-juridiques de membership. Ainsi, les communs anarchistes sont des espaces appartenant et gérés en commun par des anarchistes et des anti-autoritaire, et peuvent également etre ouverts au delà de ces communautés. (p. 880) Situating the anarchists commons: theory and practice Le concept de commun désigne les espaces et les biens qui sont possédés et utilisés en commun par une communauté ou une collectivité. La relation entre le capitalisme et les communs en a toujours été une de co-dépendance et de coévolution. En effet, les théories sur lesquelles s’appuient les chercheur.es considèrent que très rapidement dans l’histoire du capitalisme, les communs ont subi le processus d’enclosure, de la même manière que le néolibéralisme intensifie la privatisation des communs. Toutefois, pour contrer ce processus de privatisation, de nouvelles formes de coopération sociale sont constamment produites (p. 882). Les chercheur.es citent les critères suggérés par Caffentzis et Federici (2013) pour distinguer les communs anticapitalistes: 1) les communs sont produits; 2) les communs sont « invested in collective labour » ; 3) les communs sont externes à l’état et produisent des biens publics; 4) les communs servent la communauté en équilibrant les responsabilités et les droits; 5) les communs nécessite des régulations; et finalement 6) les communs sont fondés sur des principes égalitaires (p. 882). Selon le CRAC, les communs anarchistes sont semblables aux communs anticapitalistes, dans la mesure où ils se situent en dehors de la propriété publique et des communs étatiques. Les communs anarchistes créent une culture politique dans leurs pratiques organisationnelles qui se basent sur leur engagement dans différentes luttes sociales, sur des principes éthiques partagées, et des normes sociales alternatives. (p. 883) Les normes sociales mises de l’avant dans ces collectifs s’inspirent des pratiques féministes, en favorisant la coopération, l’écoute et le don au détriment de la compétition, de la parole, et du profit. Ces collectifs explicitent leurs normes, particulièrement strictes en ce qui concerne les comportements oppressifs (p. 883). Les principes d’autonomie collective, d’auto-détermination et d’auto-organisation sont également centraux dans les communs anarchistes (p. 884). Autonomie collective : autonomie des collectifs et des groupes affinitaires face à l’État et au capitalisme. Comme résumé par un répondant, ce n’est pas l’État qui va faire quoi que ce soir, c’est donc nécessaire de prendre les choses en main individuellement et collectivement (p. 884). Autodétermination : les collectifs déterminent eux-mêmes leur mode de fonctionnement. Par ailleurs, ce principe s’applique également aux luttes sociales : les premières personnes affectées par un système de domination devraient être celles qui déterminent les angles à adopter en ce qui concerne cette lutte (p. 884). auto-organisation : ce principe suggère que l’organisation d’un collectif doit se faire de manière horizontale comme la prise de décision par consensus. Les groupes vont pratiquer une rotation dans l’attribution des tâches, le partage de compétences et d’autres formes de production collectives de savoirs (p. 885). Finalement, les collectifs proféministes et anti-autoritaires s’inspire des théories intersectionnelles pour aborder l’oppression (p. 885) Empirical findings : practices and processes in the anarchist commons Le crac cartographie l’activisme dans les communs anarchistes comme un ensemble de 5 cercles qui se recoupent. Plusieurs luttes s’inscrivent dans plusieurs cercles à la fois(p. 886). Le CRAC observe que les militant.es anarchistes et antiautoritaires mettent en place des services pour répondre à leurs propres besoins, mais que les types d’espaces et de services mis en place diffèrent grandement de ce qui est généralement offert par l’État (p. 887). Par ailleurs, les chercheur.es ont constaté que les individus, groupes et réseaux s’inscrivent dans un ensemble, qui correspond à une articulation contemporaine de l’anarchisme définie par une culture politique fluide. L’anarchisme correspond donc ici autant à des processus de préfiguration qu’à une culture politique organisationnelle qui crée et qui est créée par les communs anarchistes (p. 887) . Préfigurative processes of the anarchists commons La production de communs anarchistes permet aux militant.es de créer des espaces dans lesquels iels peuvent expérimenter l’autonomie collective « ici et maintenant ». En expérimentant l’autonomie collective, les militant.es produisent collectivement une autonomie face aux institutions «top-down» (p.887). Par ailleurs, les collectifs se dotent de mécanismes afin d’adresser continuellement les dynamiques de pouvoirs. Par exemple, les collectifs vont mettre en pratique le « check-in / check-out, la garde du senti, des moments ludiques et toutes sortes d’autres mécanismes afin de permettre la création de relations saines et ancrées dans la coopération, l’écoute, et la construction de consensus (p. 888). Shared political culture Le CRAC caractérise la culture politique partagée chez les antiautoritaires en trois dimensions : solidarité et organisation de front à travers la confrontation et la construction; des valeurs-pratiques dans l’organisation affinitaire, et un conscience anti-oppressive dans les pratiques quotidiennes d’organisation (p. 889) 1) confrontation et construction La confrontation vise à déstabiliser et à délégitimer l’ordre socio-politique en place, alors que la construction vise à construire des alternatives grassroots. Par ailleurs, la construction de solidarité avec les personnes directement concernées par un enjeu est primordial. Les collectifs discutent donc régulièrement des bonnes pratiques à adopter en tant qu’« allié.es ». Cette compréhension de la solidarité repose sur la prémisse selon laquelle les personnes les plus privilégiées doivent utiliser leur position afin de travailler avec et en support aux personnes les plus affectées (p. 889). 2) organisation en groupes affinitaires Les groupes affinitaires se créent généralement autour des identités, des intérêts ou des locations des militant.es. Les structures de réseautage des groupes affinitaires sont flexibles et décentralisées, permettant une grande efficacité en termes de communication, de coordination et d’organisation de campagnes au quotidien (p. 890). 3) conscience anti-oppressive Par ailleurs, les collectifs se dotent de différents mécanismes visant à accroître l’inclusivité : offrir de la nourriture aux participant.es d’une activité, s’assurer que les activités prennent fin avant le dernier métro, etc (p. 890). obstacles et limites observées par le CRAC Selon le CRAC, les obstacles rencontrés par les collectifs anti-oppressifs relèvent moins de la pression à la privatisation et à la récupération par le capitalisme que de questions de durabilité, d’adaptabilité et de résilience. Ce qui est mis de l’avant par les répondant.es est un besoin d’atteindre un équilibre entre des collectifs intentionnels durables et leur adaptabilité au contexte socio-politique changeant. Certaines critiques faites par les répondant.es concernent pour leur part la tendance à l'auto-exploitation au sein des collectifs anarchistes. En effet, certaines coopératives de travail font face à un dilemme, entre sous-rémunérer les membres pour assurer la survie de l’entreprise, et assurer le soutien financier des membres, qui doivent se trouver des emplois supplémentaires, ou bien travailler des heures supplémentaires sans rémunération (p. 892). Par ailleurs, la pratique du travail gratuit dans les collectifs anarchistes peut contribuer à renforcer les dynamiques néolibérales, dans lesquelles le travail gratuit est de plus en plus important, et contribue à la précarisation des individus. Le CRAC suggère donc que les tensions entre le travail amateur/professionnel et payé/non-payé doivent être adressées en priorité par les anarchistes (p. 893). D’autres difficultés mentionnées par les participant.es concernent la difficulté d’adresser certaines dynamiques oppressives au sein des collectifs. En effet, la pratique du « call-out » est considérée comme prenant énormément d’énergie, tout en échouant à corriger les comportements oppressifs. Il est observé que les personnes dénonçant certains comportements peuvent manquer d’appui des autres membres du collectif lorsqu’iels le font, ou bien que les personnes visées quittent le collectif pour s’impliquer ailleurs, sans jamais travailler à changer leurs comportements oppressifs (p. 894). Si les communs anarchistes partagent des caractéristiques avec les communs anticapitalistes, ils en diffèrent également. En effet, les communs anarchistes cherchent à adresser non seulement les relations économiques, mais pas seulement. En effet, ces initiatives cherchent également à adresser les dynamiques coloniales, racistes, sexistes, transphobes, etc (p. 895). Par ailleurs, il ne suffit pas d’assurer un accès ouvert à tou.tes afin d’éliminer les dynamiques exclusives au sein des collectifs. Il faut faire un effort conscient de minimiser l'occurrence de micro-agressions, ainsi que les inégalités structurelles qui influencent les dynamiques propres aux collectifs (p. 896). Le cadre anti-oppressif permet, selon le CRAC de nommer, de discuter et d'adresser les dynamiques de pouvoir à l'œuvre au sein des espaces militants (p. 897). 4 – Conclusion critique Cet article adresse bien les tendances à l’auto-exploitation dans les espaces anarchistes et anti-autoritaires, et suggère certaines pratiques pour contrer ces tendances. Par ailleurs, le cadre théorique développé au début de l’article permet de bien appréhender la relation entre les communs et le capitalisme, comme une relation dialectique en constante évolution, où des communs sont construits en réaction à l’échec du capitalisme de répondre à nos besoins collectifs, et qui peuvent par la suite être cooptés par celui-ci, et ainsi de suite. Réfléchir de manière critique et nuancée aux possibilités de subversion que nous offrent certaines pratiques, tout en considérant comment on contribue par le fait même à renforcer certaines dynamiques capitalistes est certainement central à l’effort de créer des commu