Temps, travail et domination sociale

De Projet de recherche sur l'auto-exploitation collective
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J'ai lu ça en cherchant des critiques de la valeur d'usage. En gros, ca s'aligne très bien avec les récits du développement du capitalisme, comme les textes de Meiksins Wood. Toutefois, il va plus loin dans la constitution historique du capitalisme, refusant au travail et à la valeur le rôle d'une constante transhistorique. Ce faisant, on peut faire deux critiques très vastes et lourdes de conséquence. D'abord, on peut distinguer la richesse matérielle de ce qui a de la valeur, faisant des produits du capitalisme des artéfacts situés historiquement, fortement déterminés par la production capitaliste, donc la logique de production de survaleur. Ensuite, en faisant du travail une réalité situé, on arrête d'attribuer au travail sous le système capitaliste un rôle "naturel". Ainsi la production industrielle n'est pas au service de la production de richesse matérielle, mais de valeur (et surtout de survaleur): "On ne peut donc pas la saisir comme un mode de production, qui, inchangé, pourrait servir de base au socialisme" (p. 520) Ce faisant, on ne renverse pas le capitalisme en prenant les moyens de production, mais que "si un mouvement impliquant des travailleurs renvoyait au-delà du capitalisme, il aurait à défendre les intérêts des travailleurs tout en participant à la transformation des travailleurs - par exemple en mettant en question la structure existante du travail, en cessant d'identifier les hommes seulement d'après cette structure et en contribuant à repenser ces intérêts" (p.544).

Ce qui est particulièrement pertinent pour les recherches sur la valeur d'usage sont les pages 546 à 553, qui rapportent quelques pages des grundrisses qui mentionnent la question d'un travail "superflu", c'est-à-dire la production de richesses destinées à la classe possédante, des biens de luxe: "Avec la production industrielle sous le capitalisme avancé, le potentiel productif développé devient tellement grand qu'une nouvelle catégorie historique de temps "extra" apparaît pour le plus grand nombre" (p 549). Cette consommation particulière est mentionnée au passage, sans nécessairement être déployée dans sa force critique. En effet, qu'elle seraient les conséquences sur la valeur d'usage si une telle situation était généralisée ? Et si l'on touche à la valeur d'usage, comment ca affecte le temps de travail socialement nécessaire ? Et reste-t-il nécessaire ? Comment se produit le déploiement géographique d'un tel temps "extra" ? En gros, ca permet d'ouvrir à des reconsidérations importantes des catégories marxistes pour les penser dans le présent, dans un contexte où la valeur d'usage est contaminée par le confort matériel d'une part non-négligeable de la population.

En fait, si l'on lit les pages 662-664 des Grundrisses (les pages 193-194 sont citées dans Postone, ca elles réfèrent à l'édition de 1980 des éditions sociales en 2 volumes), on lit pas longtemps après la finalité de ce temps extra: "Il dépend donc du degré de productivité déjà atteint [...] qu'une partie d'importance croissante soit affectée à la production des moyens de production [...] puisse prélever une part importante de la richesse déjà crée, tant sur la jouissance immédiate que sur la production destinée à la jouissance immédiate, pour appliquer cette part à du travail non immédiatement productif (à l'intérieur du procès de production matériel lui-même" (Grundrisse, p. 663). Ceci signifie que Bataille avait une interprétation scrupuleusement marxiste lorsqu'il affirmait l'investissement dans l'équipement de production était une source importante du développement du capital, marginalisant donc au passage le rôle de la consommation de luxe.